Set me free

La lune ce soir ressemble à un ongle d’orteil, quand elle se glisse entre deux épaisses couches de nuages. Elle est minuscule, et aucun loup n’en sent l’influence ce soir. Pourtant, comme tous les soirs, je la sens qui m’appelle, qui m’attire, comme si elle attendait quelque chose de moi. Je cours dans les hautes herbes, les yeux collés au ciel et la langue pendante. Autour de moi, tout ressemble à des zébrures indistinctes. Je ne vois la lune. Devant au loin, je distingue vaguement le lac et le grand chêne sur la branche duquel j’ai laissé mes vêtements. Les nuits chaudes comme celles-ci me donnent envie de courir, de sentir le vent dans ma fourrure et attraper toutes les odeurs dans mes narines. Tout s’y mélange. L’odeur de la terre. De l’herbe. De l’air. Le vent m’amène également, par moments, des relents des usines et des voitures, plus loin en ville.

Le lac se rapproche. Je sais que je n’ai rien emmené pour me sécher, mais l’envie de faire un vol plané pour briser la surface de l’eau est plus forte que cette petite pensée logique qui tente de se faire sa place dans mon cerveau. Je fends l’air et m’écrase lourdement dans l’eau. Pendant quelques instants, tout mon corps est immergé. Puis je ressors la tête de l’eau et avale une grande bouffée d’air. Avant de remonter à la surface, j’ai repris mon aspect humain. Quelques instants, je reste sur le dos à flotter, à regarder cette toute petite lune qui a l’air de me faire un clin d’œil. J’essaie de le lui rendre, mais je n’ai jamais vraiment compris les clins d’œil, alors je crois que je n’ai que cligné très fort des yeux. J’en connais quelques-uns qui se seraient fichus de moi, comme cette nana que j’ai fréquenté quelques temps, plus jeune, qui m’appelait labrador-man.

J’ai jamais vraiment compris pourquoi d’ailleurs. Ça la ferait sûrement marrer de savoir ça. Je me demande ce qu’elle devient. Je me remets sur le ventre et me tape quelques longueurs de nage histoire de brûler ce qui me reste d’énergie. Autrement, je n’arriverai pas à vraiment me reposer d’ici à demain. Et demain, j’ai un combat dans le ring. Ça faisait un moment. Je crois que les autres propriétaires de bêtes en ont eu assez de perdre leurs combattants aussi facilement. Et leur argent. Le boss dit que certains parient une somme de sûreté sur moi, sachant qu’ils vont perdre. Je me demande qui sera mon adversaire. Qui se sent assez confiant pour envoyer son investissement contre moi.

Tranquillement, je me dirige vers le bord de l’eau. J’essaie de m’ébrouer, mais sous cette forme, c’est pas tellement efficace. Avant de remettre mes vêtements, je m’allonge un peu dans l’herbe en dessous du chêne. Si ça se trouve, je vais m’y endormir et y passer la nuit. Ce sera fait.